Mousse
à la pêche côtière
Joseph
Coïc
De l'école
d'apprentissage maritime, je garde le souvenir de l'esprit de
camaraderie qui animait tous les futurs mousses. Je me rappelle
de la patience de nos instructeurs de travaux pratiques. Ils
nous enseignaient entre autres, l'art du matelotage, du ramendage
des filets, des travaux de voilerie, mais aussi la technique
de construction des navires de pêche en bois.
Une fois par
semaine, nous avions des séances d'aviron et de voile.
A l'époque, il existait encore quelques pinasses de pêche
naviguant à la voile. Pour se rendre aux embarcations
mouillées à Lostendro, dans le port du Guilvinec,
nous traversions les rues de la ville, l'aviron sur l'épaule,
en chantant gaiement des chansons de marins.
En attendant
une place vacante sur le Liberty-ship Marseille,
J'embarquais l'été sur un chalutier côtier,
le Credo du marin, patron Marcel Quiniou du Guilvinec.

Année 1950: Le
"malamok "Crédo du marin" - Le Guilvinec
Vers quatre heures
du matin l'été, nous retrouvions les autres équipages
sur le quai. Nous appareillions pour arriver sur les lieux de
pêche avant le lever du jour. A chaque sortie en mer,
c'était le même cérémonial.
Les moteurs des
malamoks se mettaient en route l'un après l'autre, puis
la flottille s'ébranlait. En l'espace d'un quart d'heure
le port se vidait. De la jetée du port, on pouvait apercevoir
la multitude des feux de poupe des navires. Après le
passage de la bouée "Capelan", les routes des
chalutiers commençaient à diverger, chacun allant
vers son secteur de pêche. Si la météo était
mauvaise, nous restions faire la veille au port en attendant
une accalmie et, quand un patron plus téméraire
que les autres décidait de sortir, il entraînait
à sa suite la majorité de la flottille.
Le premier trait
de chalut était viré à bord après
environ trois heures de traîne sur le fond; c'était
en général le meilleur trait de la journée,
les autres étant de moindre rendement. En action de pêche,
un matelot de confiance était de quart à l'arrière
du chalutier "au chien", sorte de machoire métallique
fixée sur le pavois arrière. Celui-ci est chargé
de surveiller à cet endroit, les trépidations
des funes afin de prévenir le patron en cas de croche
du chalut sur le fond. Il gardait en permanence ses mains sur
les câbles et dès que les sensations de croches
devenaient significatives, il hurlait pour prévenir le
patron. Celui-ci débrayait le moteur et commençait
à virer le chalut. Certains matelots connaissant bien
les lieus de pêche et les réactions de leur patron,
attendaient le dernier moment pour le prévenir, au risque
d'occasionner quelques déchirures. Cette attitude était
souvent payante, les meilleures pêches se faisant dans
la "caillasse".
Le virage du
chalut se fait sur le côté tribord grâce
à deux potences disposées en abord. Par mauvais
temps, nous étions moins bien protégés
des paquets de mer qu'actuellement. Les filages et virages du
chalut sont rendus désormais plus faciles grâce
aux enrouleurs des chaluts disposés à l'arrière.
Vers 17 heures, c'est le retour des bateaux qui rentrent à
une cadence très rapprochée. dans leurs sillages,
une nuée de goélands, attendent leur pitance,
spectacle dont je ne me lasse pas. La pêche est débarquée
à la halle aux poissons. Elle se compose de: soles, merluchons,
colins, lottes, dorades, limandes, chiens, roussettes, raies,
juliennes, rougets, saint pierre, encornets, seiches, loches,
pageots, grondins, chinchards, tacauds, tourteaux, araignées
etc..
La langoustine
est le symbole du port du Guilvinec et des ports bigoudens.
Sa commercialisation existe depuis 1914 mais les marins guilvinistes
en pêchaient bien avant cette date. Ils draguaient avec
leur chalut à perche les bancs de la grande vasière..
Les pêches
sporadiques étaient ensuite partagées entre les
marins-pêcheurs pour la godaille.
En 1934, au Guilvinec,
Marcel Quiniou et son frère Félix, sur la pinasse
Ernest Zegut, sont les précurseurs du chalut
à panneaux dont l'usage était déjà
répandu dans les ports de Concarneau et Lorient sur les
chalutiers de conception différente. C'est à cette
époque que les pinasses sont remplacées par les
malamoks. Après la vente, nous reprenons nos caisses
de poissons et de crustacés. A l'aide d'une charette,
nous parcourons les rues avoisinantes, pour la livraison de
notre pêche aux mareyeurs. En 1958, la criée, les
magasins de marée et les quais sont en construction.
De retour à bord, le chalut de chanvre tanné,
est hissé manuellement au haut des mâts pour sécher.
Etre mousse sur un chalutier n'est pas de tout repos. Au début,
le mal de mer, dû en grande partie aux odeurs nauséabondes
régnant à bord, en particulier celle du gas-oil,
m'incite à rester le plus lontemps possible sur le pont
auprès du matelot préposé au "chien".
J'aurai, au cours de ces trois mois de pêche côtière,
de bons rapports avec l'équipage composé de marins
aguerris, proches de la retraite, aimant bien la chique. Ils
m'ont appris le rude et noble métier de marin-pêcheur.
Dans mon esprit toutefois, mes pensées voguent déjà
vers des horizons lointains et inconnus.
Le soir, les
équipages se retrouvent dans leur bistrot préféré
pour discuter de leur pêche et de la vente du jour.. Chaque
samedi, tandis que l'équipage est en mer, le mousse reste
à terre pour faire la tournée des banques où
il présente les bons d'achat des mareyeurs. Au retour
de l'équipage, c'est le partage des gains de la semaine
selon le système de rénumération à
la part. Les dépenses de carburant et de vivres sont
déduits de la recette hebdomadaire. La somme restante
est divisée en deux: La première moitié
revient au patron et la seconde est répartie équitablement
entre les membres de l'équipage, sauf le mousse qui ne
perçoit qu'une demi-part.
Premier
voyage au long cours
Joseph
Coïc
Lorsque je reçois
le télégramme de la compagnie de navigation pour
embarquer à Marseile, je prends soudain conscience que
je vais quitter mes proches et mes amis pour de longs mois.
C'est un sentiment fait à la fois d'inquiétude
face à cet inconnu qui se profile mais, c'est aussi un
soulagement de quitter ce métier de marin-pêcheur
où tant de membres de la famille ont payé un lourd
tribut à cette mer qui sait hélas, parfois être
cruelle. C'est aussi la première fois que je suis séparé
du giron familial et cela m'angoisse un peu. Vingt heures de
train, au départ de Quimper à destination de Marseille,
via Lyon. Aujourd'hui, c'est le temps mis pour s'envoler aux
antipodes!..
En arrivant à
la gare Saint Charles à Marseille, un employé
de la compagnie m'attend pour m'aider à accomplir les
premières formalités. Je découvre les yeux
ébahis, cette belle ville de Marseille, si pleine de
vie et de chaleur.

1959: Le liberty-ship
"Marseille" en escale à Leixoes (Portugal)
Je regarde ébloui,
l'immense silhouette du Liberty-ship Marseille amarré
au cap Pinède dans le port de Marseille, ce 20 octobre
1958. Je me souviens encore de ma première impression
en découvrant la masse imposante de ce navire et le bruit
caractéristique de la machine à vapeur que j'entends
en montant l'échelle de coupée. Me voici donc
embarqué comme mousse, le plus jeune du bord.
C'est le départ
d'une belle et longue aventure sur toutes les mers du globe.
Ce long périple, entrecoupé de congés,
durera près de 40 ans, à la découverte
du monde qui nous entoure, du mode de vie de ses habitants en
étant parfois aussi le témoin d'événements
internationaux importants qui se sont produits pendant près
d'un demi siècle, des années d'après guerre
à la fin du siècle dernier.
Cela représente
aussi plus de 8000 jours de navigation, soit près de
60 fois le tour du globe en distance parcourue et autant de
pays visités.
Je suis loin
d'imaginer à ce moment là en franchissant la coupée
su S/S (Steamer Ship) Marseille , que 38 ans plus
tard, par une coïncidence tout à fait extraordinaire,
je terminerai ma carrière de navigant de la marine marchande,
au même cap Pinède. En effet, je mettrai sac à
terre pour la dernière fois au même endroit en
débarquant comme dernier commandant du navire océanographique
Le Noroit: que de voyage effectués et de
milles parcourus! Autre coïncidence, tout comme pour le
Marseille qui effectue son dernier voyage sous
pavillon français, c'est aussi le dernier voyage du Noroit
également sous ce pavillon. Ce navire continue
actuellement sa carrière aux îles Féroé.
Le Marseille quant à lui, après
quelques mois de désarmement , sera vendu à un
armateur libanais.
le premier contact
avec l'équipage et l'état major composés
essentiellement de Corses et de Marseillais, est chaleureux.
Au fil des voyages suivants, je constaterai une certaine affinité
entre marins corses et marins bretons. Nous sommes des "exilés"
à Marseille, ce qui permet naturellement des rapprochements
et des amitiés plus durables qu'avec les marins marseillais.
Le commandant
Ange Limarola, d'origine corse est très estimé
de son équipage. La première nuit, je ne peux
dormir en raison du bruit de la machine. J'ai également
une certaine appréhension et tristesse en pensant que
mon retour auprès de ma famille et de mes amis, aura
lieu au plus tôt dans 10 mois, temps réglementaire
à cette époque.
Pour mon deuxième
jour d'embarquement, je serais déjà confronté
aux grèves de la marine marchande. Le but est de lutter
contre les pavillons de complaisance (déjà d'actualité
en 1958). Le rassemblement a lieu à la bourse du travail
où des orateurs politiques prennent la parole. Je me
souviens encore du député marseillais, Monsieur
Cermollace, qui nous vantait les vacances en Roumanie et dans
les pays de l'Est. Quel rapport avec cette grève?
Par la suite,
au cours de ces quarante années, je connaîtrai
beaucoup de grèves ou retards à l'appareillage
dans cette marine marchande française toujours en crise
et en restructuration au fil des années et qui n'est
plus que l'ombre d'elle même.
Je quitte Marseille
le 23 octobre 1958 à destination de Jacksonville (Floride)
aux Etats Unis. Avant la traversée de l'Atlantique, nous
complétons notre chargement dans les ports de Sète,
Barcelone et Cadix.
La première
nuit passée en mer est un événement qui
marque. Le fait d'être sur un navire en perpétuel
mouvement a quelque chose de partictlier. Il faut s'habituer
à tous ces bruits multiples que l'on entend: grincement
des cloisons, déplacement dans la cabine de menus objets
dû aux mouvements de roulis ou de tangage et paquets de
mer venant se fracasser contre la coque. Par ailleurs, le bruit
caractéristique du moteur a quelque chose de rassurant
mais aussi d'inquiétant lorsqu'il s'arrête en haute
mer.
Mon travail consistait
en des travaux de nettoyage des cabines des maîtres pont,
des travaux d'entretien (potasse-peinture et piquage de rouille),
ainsi que des travaux de graissage du pouliage ou des fils d'acier
où la maxime "trop fort n'a jamais manqué"
était de rigueur. Le résultat: des coulures de
graisse assez conséquentes sur les ponts au grand dam
du second capitaine.
Avec le magasinier,
je participais aux travaux de matelotage, épissure sur
cordage ou fil d'acier. Je mettais avec plaisir en pratique
mes connaissances acquises à l'école d'apprentissage
maritime du Guilvinec, domaine dans lequel j'excellais.
Extraits du JOURNAL
DE BORD D'UN MARIN AU LONG COURS
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